Belles du seigneur, l' hypnagogic-pop & Maria Minerva
Petite précision : il y a eu une vie dans la blogosphère avant Dancing with the noise. Voici un article publié au cours du printemps 2010. Depuis, je l' ai un remanié pour coller à l' actualité. Mais l' essentiel était déjà là.
Et voici Maria Minerva. 23 ans, d'origine estonienne, vivant à Londres, elle déclare avoir travaillé au sein du magazine Wire. Toujours mieux que Jeune & Jolie. Mais si elle s'est fait connaître c'est surtout grâce à une cassette audio.Une simple cassette audio, comme dans les 80's. C'est la grande mode chez les bons labels, il existe même des blogs consacrés exclusivement à ce support. Cette nostalgie du support étiqueté 70's 80's peut paraître être encore un énième retour sur les "bonnes vieilles valeurs d'autrefois" . Dans le cas présent les antiques cassettes deviennent également un nouveau support pour des expérimentions sonores inédites.Ce qu' il faut préciser sur cette mouvance et l' hypnagogic-pop abordée plus loin c'est que leurs motivations et leurs natures profondes sont assez éloignées d' un quelconque repli sur soi nostalgico-infantilisant.Y' a The Pains Of Being Pure Heart pour ça. Ces derniers tirent sur la corde sensible des madeleines de Proust version 90's sans vraiment faire preuve d' originalité et de largesse d'esprit via un champ d' influences pas très vaste au final. C'est bien mais on connaît déjà la chanson. En gros la scène indie 89-92 et c'est tout. Contrairement à tous les groupes abordés dans cet article et généralement dans ce blog qui ont quant à eux l'immense mérite d' être un tremplin vers des oeuvres musicales plus variées, aventureuses et exigeantes.
Ils sont nombreux à reproduire de la musique d'une autre époque. En enlevant le coté infantilisant de POBPH on peut citer Kurt Vile, Black Keys, Miles Kanes, Hanni El Khatib. Tous les styles et époques sont pillés. On peut certes relever chez certains une touche de nouveauté mais est-elle suffisante pour espérer une forme d' évolution ? J' en doute même si parfois il arrive que certains d' entre eux le fassent aussi bien que leurs aînés. Kurt Vile ou encore Yuck. Ce mode répétition en matière de musique est aussi diversement apprécié si on aime ou pas le style abordé. Prenons mon exemple. Si un groupe de jeunots se pointe et fait dans le shoegaze ou le baggy, The Horrors, et bien votre serviteur va être un poil plus indulgent que si ils font du folk ou du rock garage, style moins important et marquant dans mon histoire de vie musicale. La réaction peut même être épidermique. Mais le résultat est le même. On regarde dans le rétro. Et immanquablement la vitesse diminue, et le platane approche. Le coup de regard dans le rétro est parfois nécessaire pour la création. L' histoire nous l'a prouvé maintes fois. Cela ne s'est révélé passionnant que lorsque les références du passé étaient multiples et variées. Le post-punk a été une réelle évolution (influences multiples du krautrock, de la musique concrète, du prog, du rock-garage,reggea, dub ...). A conrario la Britpop des 90's et son anglo-centrisme pop-rock nous a-t-elle apporter du neuf ? Non. Certains diront que ça permet aux plus jeunes de découvrir les vieilles gloires du passé. Oui, mais.
Imaginez que vous êtes en 1979. Vous avez 20 ans et vous adoptez cet attitude revivaliste replié sur une époque et un style précis avec un nombre restreint d' artistes. Vous reproduisez alors une musique datant de 20 à 30 ans. Et bien vous passez à coté du punk, de la new wave et vous faites du ...Frank Sinatra, du jazz be-bop ou du rock 50's pour puriste. Pas dégueulasse comme choix mais tout de même en même temps que Public Image Limited vous seriez passé pour quoi? Une sorte de réac gentil de bon goût mais un peu largué et sur lequel on ne peut pas compter pour faire du neuf .
Oups !
Du rock 50's en 1980 ça s' est fait. Ça s' appelait les Stray Cats ! C 'est bien connu que les Stray Cats sont restés dans les esprits comme des pures génies ayant bouleversé l' histoire du rock. Et de la même manière en 1992 plutôt qu' écouter Sonic Youth ou se plonger dans l' aventure Warp et bien vous écoutez uniquement le premier album des Beatles "please please me" et n' essayez même pas "Revolver" ou "Sergent Pepper...". Vous écoutez le Dylan de "Freeweelin" et stoppez juste avant son passage à l' électrique. Y' a-t-il pas un risque de devenir réac avec le temps? C 'est que le sens de l' ouïe c' est comme celui du goût. Il faut le faire travailler et rien ne vaut que la diversité des saveurs à découvrir.
Et finalement en regardant dans le rétro ne devrait-on pas s' inspirer de vieux trucs pourris de temps en temps pour créer du nouveau et ainsi évoluer plutôt que toujours se borner aux même références, en les édulcorant volontairement ou involontairement (usure du temps) de ce qui fait leur spécificité, et continuer ainsi à faire du surplace ?
Et c' est là qu' intervient l' hypnagogic-pop, qui contrairement à la première impression est bien plus porteuse d' espoir en une évolution et également plus en rapport avec notre monde contemporain. A mon avis, bien sûr.
Le phénomène du retour des bandes magnétiques dans l'édition musicale est indissociable du mouvement hypnagogic-pop. Il a été lancé par Ariel Pink et sa pop rétro-futuriste . Le terme désigne l'imagerie (hallucinations) qui traverse notre esprit pendant la première phase du sommeil appelée la somnolence. Merci pour les cours de la formation d' aide-soignant.
Notre époque ne ressemble-t-elle pas un peu à ça ? Une sorte de somnolence traversée par des visions d' horreurs enfouies dans notre mémoire et créées par l' imaginaire collectif. 2011 : Fukushima nous a tous rappelé Tchernobyl et la peur nucléaire. Plus proche de nous, Marinne LePen en 2012 , Jean Marie depuis 1986. Et l' écologie...
Toutes ces peurs imaginées de nombreuse fois par le passé se concrétisent et finalement on y croit pas réellement . C 'est un rêve, avec son scénario écrit à l' avance, alors la fin est inéluctable."On y peut rien,c 'est comme ça". Et pourtant ça vient d' arriver et la réaction espérée n' est pas exactement au rendez-vous. On savait que ça allait se produire, et le fait de ne pas pouvoir ou réellement vouloir l' éviter nous laisse dans un état de désespoir complet, et pour certains le cynisme et la frustration . Désespoir qui nous pousse tous dans le divertissement à tout prix (foot, jeux vidéo, télé etc...). Ou, à se morfondre dans la nostalgie des temps anciens, temps fantasmés à tort ou à raison. Et voilà pourquoi les soirs de solitude sur votre site de streaming préféré vous recherchez les clips des révolutionnaires Sonic Youth ou des Beach Boys . Plutot que chercher à découvrir leurs équivalents de nos jours. On cherche la réaction dans le passé, pas à la provoquer. Et en plus ce désespoir se transmet de génération en génération. Sinon comment expliquer qu' un gamin de 18 ans se passionne uniquement pour les Smiths.Prenez les calamités de 2011. Elles étaient en grande partie présentes dans notre imaginaire depuis bien longtemps. Mais si ! Souvenez-vous. On nous l' avait prédit et on a grandi avec ça dans notre tête, de là, notre attitude apathique actuelle. Le visionnage de cet épisode c' est un peu comme écouter le rétro-futurisme d' Ariel Pink et consorts.
L' hypnagogic-pop est une réaction !
Certains vont me dire que les artistes hypnagogiques utilisent des sons du passé comme les revivalistes cités plus haut. Oui mais il s' agit là de rétro-futurisme. Ce qui est très éloigné d' un repli sur soi ou d'un désespoir et d' une peur de l' avenir. Ne pensez-vous pas que ce rétro-futurisme est une sorte de réponse ironique et critique à la désillusion généralisée de notre époque ? "Dites donc les vieux , vous nous aviez promis des avenirs radieux. Ils sont où ? " "Si si c'est vrai , vous n' avez pas toujours été pessimistes, vous aussi vous espériez, alors pourquoi pas nous".
Écoutez le titre "Foilly Foibles, Gold" d' Ariel Pink.
C'est l'un des actes fondateurs de l hypnagogic-pop. On peut citer d' autres précurseurs issus de l' underground , souvent californien, Vodka Soap, Emeralds, et enfin et surtout The Skaters, groupe du génial James Ferraro et de son acolite Spencer Clark.
Suivront Sun Araw, Mark Mc Guyre, John Maus et son pote Gary War, Oneohtrix Point Never, Rangers (alors lui il me plaît beaucoup, ce type fait du Durutti Column version Hypnagogic).Ces gars-là au milieu des 00's sont fans de musique New Age et tout ce qui gravite autour (hum hum hum...). Oui oui, vous avez bien lu, LA NEW AGE, style musicale que l' on évitait souvent, probablement de vieux souvenirs refoulés de séances de Yoga forcées ou de muzak dans un centre récréatif. On peut également citer une grosse influence du Krautrock, de l' ambient music (Eno, encore et toujours), du psychédélisme et de l' indie music . Mais aussi pas mal de drone et de noïse. Bref ils écoutent de tout et chose importante, ça se voit dans leurs oeuvres. Ils ont digéré leurs influences et en ont tiré quelque chose. Ce qui est devenu rare. Les effets d' annonce sous forme de belles promesses d' évolution musicale, on connait. Petite anecdote datant de 2005. Alison Goldfrapp clamait son amour pour la musique concrète et l' électroacoustique tout en déclarant vouloir marcher sur les trace de Karlheinz Stockhausen et être son équivalent dans la pop-music. Vous serez d' accord avec moi qu'on risque attendre longtemps les belles promesses de la dame et que pour le moment on est loin du compte.
Et en plus de tout ça les hypnagogics ingurgitent à haute dose les disques d' Hauntology music(Leyland Kirby)*(cf à la fin)
Pour cela ils vont créer des espèces d' ambiances sonores en mélangeant de la mélodie faite de brics et de brocs avec des ambiances abstraites parfois agressives. Le tout teinté de rétro-futurisme assumé, d' où leur passion pour les sons et la production symbolisant le futur dans les 70's & les 80's . Mélodies mélangées à des Ambiances abstraites, parfois agressives.Ça vous rappelle rien? Et oui le shoegaze est aussi passé par là.
Si on peut dater le début de ce courant à 2003-2005 et que vous en avez peut-être toujours pas entendu parler et qu'en plus vous pensez que je parle d' un truc sans intérêt je vous invite vivement à bien lire ce qui va suivre et apprécier l' influence énorme de ce machin là : " Le courant Hypnagogic-Pop a enfanté, a participé, a inspiré ou encore est revendiqué par:
- La Chilwave : Memory Tapes, Washed Out, Toro Y Moi, Neon Indian, Peaking Lights etc...
- L' Indie Beach : Real Estate,Ducktails, Pocahaunted, Best Coast, Wavves, Vivian Girls, Dum Dum Girls etc...
- La Witch House : Salem, Zola Jesus, Balam Acab, Holy Other, White Ring...."
Ce n' est pas moi qui le dit, ce sont les artistes cités. Et bien sûr Maria Minerva.
Je vais vous avouer un truc. Sans l' Hypnagogic-pop mon envie de faire un blog serait probablement restée lettre morte.
Ce mouvement adore les 80's, en matière de production musicale bien sûr mais également visuelle avec un goût prononcé pour la maltraitance de nos vieille bandes VHS. L' un des labels spécialistes est celui justement celui de Maria Minerva, Not Not Fun (j' en parle dans peu de temps)
Ses fondateurs se passionnent eux aussi pour le Noise,le drone et le psychédélisme, pas étonnant donc d'y trouver comme signatures les GRANDS Yellow Swans et les non moins intéressants Sun Araw(déjà cités). Mais ils ne sont pas non plus fermés à la pop , surtout si elle se révèle bizarre. L'une des fondatrices, Amanda Brown sévit dans LA Vampire et affectionne l' imagerie 80's.
Et Maria Minerva dans tout ça? C'est le versant pop avec parfois un judicieux zeste de disco dans le monde hypnagogique. On est dans la répétition de motifs vaporeux. La voix est éthérée donc très proche de celle de Liz Fraser des Cocteau Twin . Son chant fantomatique me rappelle aussi la grande Nico.Pur avis personnel, ces origines d' Europe centrale n' y sont pas étrangères. On peut remuer du popotin, donc pas loin de mon fantasme musical, du shoegaze dansant. S' éclater sur un truc ABSTRAIT. C' est possible et il est pas nécessaire de se taper les bourrins de Justice et Mondkopft, entre autres. Le shoegaze dansant de Minerva est un peu la version légère de celui d' Alan Watts, déjà abordé dans ce blog.
Le monde de l' hypnagogic-pop est multiple et varié et son influence s' étend bien au delà que la sphère de ses créateurs. Et ça va continuer. Les artistes cités ne font pas non plus dans le surplace. Pour finir voici un titre du dernier James Ferraro qui a laché les 80's pour explorer les sons des 90's et qui fabrique dorénavant une musique proche du maximalism .
Si ça vous intéresse voici une petite compile.
* Le mot Hauntology a été utilisé pour décrire une musique créée par un ensemble d'artistes affectionnant les ambiances dites "hantées". Soit une musique résonnant avec les émotions et les sentiments d' un passé analogique et de fantômes numériques. Sont utilisés des échantillons provenant d' archives sonores de tous genres . Musique des émissions de télévision & de radio des années 60 et 70, enregistrement sur bande de dialogues, des sons de la nature , l'électronique des tout débuts, collages sonores. Ces artistes produisent ainsi une musique très proche de l' ambiant avec une touche fantomatique.Si vous avez pas compris voici le king du genre. Leyland Kirby de The Caretacker.
et c'était quoi la vie sur la blogosphère avant dancing with the noise ?
RépondreSupprimerUn blog tout moche à considérer comme une ébauche de celui-ci. Inintéressant.
RépondreSupprimerj'aurais été curieux !
RépondreSupprimerEn tout cas bravo ! beau boulot, et belle écriture.
Ça me permet de découvrir plein de trucs, et quand c'est raconté avec tant de passion et d'intelligence/sensibilité musicale, on est quasi obligé de s'y intéresser.