Dancing With The noise nouvelle version. dernièrement:

En passant : Oneohtrix Point Never. Daniel Lopatin, pourquoi est-il si important?



Début d' année 2013 alors que suis encore en train de fouiner sur le net à la recherche d'une trace de cet animal étrange et passionnant nommé le Lopatin  Daniel je tombe sur cette info le concernant, le prochain Oneohtrix Point Never sera sur ...WARP. Première phrase prononcée par votre serviteur: "Il était temps !". Deuxième phrase, "tant mieux pour ce vieux label". Un peu comme Factory Floor  pour DFA, Lopatin prenait les traits d'une bénédiction pour un label un peu trop devenu ronronnant. L' arrivée de Lopatin peut considérablement chambouler Warp et lui faire prendre de toutes nouvelles directions artistiques et rien que ça c'est déjà important.
L'un des artistes les plus novateurs actuellement sort donc son dernier album sur le label qui dans les 90's symbolisait la modernité  absolue (LFO, Autechre, Aphex Twin).
Pas vraiment affilié à l' hypnagogic-pop quand cette dernière est apparue, Lopatin est finalement devenu un des plus parfaits représentant de ce style si vicieusement révolutionnaire. "Vicieusement révolutionnaire" l' hypnagogic-pop et Lopatin? Assurément parce que si à leurs débuts l'hypnagogic-pop et la musique de Lopatin pouvaient passer pour une simple relecture hypernostalgique du passé (pastiche?) très vite elles nous ont révélé qu'elle provenaient d'une quête absolue de modernité.  Un art du détournement  des musiques du passés et de ce qu'elles peuvent symboliser à nos mémoires pour arriver à tout autre chose plus près de nous chronologiquement. Ce qu' illustrèrent  si magnifiquement les  vidéos (ses premières oeuvres)  postées à ses tout débuts par Lopatin sous divers pseudos sur youtube. Les fameuses et dorénavant légendaires "echo jams", ensembles visuels et sonores aux conséquences gigantesques dans l'underground. La vaporwave et sa constatation/critique du consumérisme triomphant pour ne citer qu'une d'entre elles.


                                                                     
Quand je tente de chercher la modernité via la découverte de nouveaux artistes ou courants musicaux Lopatin n'est donc jamais très loin comme l' hypna. Récemment je me suis même aperçu qu'il s' agissait de l' artiste parmi les plus cités dans ce blog. Que je m'intéresse à James Ferraro, Ariel Pink, Holly Herndon, Laurel Halo, Julia Holter. Que je me plonge dans l'hypnagogic-pop, la vaporwave, que je me confronte au maximalism d'un Rustie, à Arca, à la musique guerrière d'une Fatima Al Quadiri, Lopatin est là. Même chez Demdike Stare, Haxan Cloak  ou Vessel  il  rode dans les coins. Encore et toujours. Daniel Lopatin est devenu depuis 3 ans LE personnage central de tout ce qui peut s' apparenter à la confrontation d'une certaine avant-guarde avec les musiques dites plus populaires. Ce mec veut savoir à quoi va ressembler l'avenir en observant le présent et un passé récent (l'ère numérique) et rien que pour ça, c'est un artiste essentiel.

Mais qui est donc ce type né le 25 Juillet 1982 dans le Massachusetts et domicilié à Brooklyn.  J' écoute "R Plus Seven" depuis plus d'un mois et je dois vous avouer que je n'en ai toujours pas fait le tour. Le mystère règne tellement ce disque est étrange. L' étrangeté de la nouveauté. Cette sensation magique face à un disque récent était devenue si rare depuis 15 ans et depuis 5 ans elle devient quasiment systématique avec le barbu de Brooklyn. C'est ce pure frisson fait d' angoisse et de plaisir  que j'ai toujours recherché dans ma quête de musiques "nouvelles" depuis mon adolescence. Tomber sur un "truc" qui interpelle, interroge et décontenance mais surtout le "truc" qui ensorcelle. Alors comment dois-je m' y prendre pour vous parler d'un disque qui échappe encore en grande partie à mes capacités d' analyse tellement il se révèle riche et complexe. Un disque qui me captive sans que je puisse expliquer correctement la raison. Reprenons depuis le début  et jetons un bref regard sur sa jeune carrière (à peine 5 ans), une carrière qui ressemble à un grand coup d' accélérateur de l' histoire. Ce mec est à mes yeux un "sauveur"  dans notre époque trop portée sur le rétro.

A première vue Lopatin fait comme la plus part recherche dans le passé. Mais ce n'est surtout pas pour faire "comme dans le bon vieux temps". Comme les Ariel Pink et James Ferraro le bonhomme aime fouiller dans les poubelles de notre mémoire auditive afin de créer quelque chose de nouveau et pour cela il pose les bonnes questions. Ses premières oeuvres (regroupées dans la merveilleuse compilation "Rifts") paraissaient elles aussi étranges même si les territoires visités nous semblaient parfois familiers. Lopatin est l'un des grands artisans de ce retour sur l' avant scène du rétro-futurisme avec ses nappes de synthés planant fortement 70's et 80's. Une musique souvent répétitive et minimaliste complètement à contre courant des habitudes de la musique pop par sa sobriété. Des titres tout d' abord très étincelants et familiers au premier abord puis qui devenaient anormaux par la manie qu'avait  Lopatin de les étirer à n'en plus finir.


 Progressivement Lopatin ne se contenta plus des synthés proche du Krautrock et d' Emeralds pour ,à l'instar d'un Ferraro, aller encore plus profondément dans les poubelles . Pub télé, B.O, bruit de la vie quotidienne, machin new age et musique du monde.  Tout était utilisable pour lui  dans les "archives" et aussi dans les outils technologiques fruits des progrès 70's et 80's trop rapidement laissés de coté et sacrifiés sur l' hôtel du consumérisme triomphant (CDR,VHS, et même les premiers synthés). On peut noter ainsi que Lopatin adoptait la même démarche fortement portée sur l' art du sample que celle des pionniers de l' Hauntologie (Dj Screw,Focus Group, Leyland Kirby, Stereolab). Il a aussi expliqué  qu'il avait une fascination pour le flux sonores et le rythme des conversations et qu'il s'en inspirait pour construire ses morceaux. Merci de sa part pour nous livrer l'une des plus utiles clés pour aborder son oeuvres.
 Et les disques se succédèrent dans une sorte de marche en avant inexorable et conquérante vers le futur."Returnal" introduisait dans ses drones "synthétiques" du bruit et "Replica" offrait une musique plus accessible avec la prise de pouvoir définitive des ses samples provenant du passé. A chaque fois Lopatin et sa musique se pointaient dans notre quotidien et une grande partie de ce que l'on écoutait à ces moments-là prenait un sérieux coup de vieux. Nos vieilles certitudes et nos vieux modes de pensée sur la musique étaient  à revoir  et surtout beaucoup d'entre nous  recommencèrent un travail de réflexion et critique laissé trop systématiquement sur le coté au cours de la première décennie de se siècle. Une décennie  passée pour un grand nombre à réciter uniquement un savoir encyclopédique dénuée trop souvent de réflexion . Ce mec passe sa vie à ouvrir les livres d' histoires musicaux et pourtant, il n' apprend et ne récite pas par coeur, il l' analyse et mélange tout ça  puis retire peu à peu le superflu et le reconnaissable pour nous donner les clés du futur.

Petit à petit, en parallèle de ses sorties de disques l'homme se livrait en interview et on comprenait que l'on avait pas à faire à un fan de musique lambda  coupé du monde faisant mumuse dans sa chambre . Le simple savoir encyclopédique du rock, très peu pour lui. C'est un type qui aime bien se tortiller les neurones en cherchant à comprendre comment les musiques sont apparue plutot que les énumérer bêtement et faire du copié-collé. Il se  définit dans les entretiens comme un anthropologue musicale de la vie. Il nous a parlé du biomorphisme et d' art organique. Il nous a annoncé que si l'industrie de la musique était en crise ce n'était pas grave parce que l' essentiel, la musique, "y survivra"! Il nous parlait de liberté, de musique commerciale, d'intégrité et d' indépendance artistique. De la bulle capitaliste dans laquelle nous vivons :  "aucun de nous n'a une culture libre et tous à un certain niveau, nous sommes condamnés à devoir s' approcher du populaire, que cela nous plaise ou non". L' énumération teintée de snobisme et de pédantisme des vieux noms et de références purement musicales  très peu pour Lopatin et nous grace à lui justement. Petit clin d' oeil malicieux de ma part à certaines mauvaises habitudes des "fans" d'indie music. Avec Lopatin il faut réapprendre l'utilisation de conceptes issus d' autres univers.
Les collaborations avec des grands noms de l' expérimental se succédèrent (Clinic, Tim Hecker), plus intéressantes les une que les autres. Il créa avec son pote Ford (de Ford & Lopatin) un des plus somptueux et passionnant label du moment, Software records(Autre Ne Veut,Ferraro,Slava). Les artistes de l'avant-garde récente qui se démarquaient de la masse se sont mis à se réclamer de  plus en plus souvent de lui. Holly Herndon, Laurel Hallo, Stellar Om Source.


Et nous voici à présent arrivé à aujourd' hui avec ce putain R Plus Seven. Ce monstre de modernisme et de liberté. De "jamais entendu". Ce disque est une nouvelle fois un changement de cap dans la carrière de Lopatin. En écoutant "Inside world" on peut par exemple dire qu'il a beaucoup travaillé sur les voix et qu'il n'est pas par hasard un très proche de Laurel Halo. Si Lopatin inspire ses successeurs il a aussi l' énorme qualité d' observer ses contemporains et tous les fans de James Ferraro, The Gatekeeper, Fatima Al Quadiri et de Vaporwave vont penser tout au long de R Plus Seven à l'immense "Far side Virtual" et sa critique du consumérisme . Tous ces artistes géniaux et novateurs tant de fois abordés ici, ces artistes qui osent en dissèquant la révolution numérique apparue depuis 15 ans à partir de moult expérimentations sur les sons de cette nouvelle culture. Sons informatiques, univers des jeux vidéos, notre relation au virtuel et sa confrontation à la réalité quotidienne, son utilisation par le consumérisme et la société du spectacle triomphante.
Je vous racontais que Lopatin parlait souvent de liberté dans la bulle capitaliste, d' indépendance artistique et de sa volonté d' échapper à tout dictât stylistique. Ses actes suivent ses paroles et l'homme atteint ses objectifs en nous offrant un monument en l'honneur de ses valeurs, le gigantesque "Zebra". Les boucles et les motifs sonores arrivent de partout et bousculent sans cesse nos habitudes mais n'y voyait pas dans ce fait un truc gratuit tenant du hasard. Le travail de construction effectué par Lopatin sur R Plus Seven est considérable et marqué par le seau de la méticulosité.
A grand coup de détournement de souvenirs des débuts informatiques et digitaux ("America") Lopatin nous offre des paysages sonores formidables et étranges dans lesquels la pop du futur ira piocher dans quelques temps. Sa palette  de sons s' est encore plus diversifiée et elle aussi est un symbole de la révolution numérique et des possibilités offerte par un accés plus facile (internet) à toutes sortes de culture (les bienfaits de la mondialisation). Et si parfois des nappes de synthés nous rappelle ses débuts et un orgue d' église réapparaît souvent des "guitares" japonaises ou d' autres motifs tout autant surprenants font irruption en chamboulant les rares habitudes prises avec Oneohtrix.

A d' autres moment je reconnais que c'est particulièrement complexe d'entrer dans ce "R plus Seven"  et me vient cette vieille petite histoire de tonton Brian Eno qui va vous permettre de plus facilement entrer dedans et  ainsi mieux apprécier la musique de l' américain Lopatin et de beaucoup d' autres abordés dans ce blog..
Par ailleurs Eno  nous recommande de faire la même expérience que lui pour sortir des carcans de notre culture musicale écrite occidentale et rock'n'rolliennes . L'un des autres charmes majeurs de Lopatin fils spirituel d'un certain post-punk.
Un jour, Brian Eno sort de chez lui et décide d'enregistrer les sons d'un parc près de son domicile. Tout y passe pendant une heure. Les chiens, les voitures, les gens. A son retour, lui vient cette idée incongrue. Et s'il ne gardait de son enregistrement que 3 minutes 30, soit la durée d'un single. Pas de problème, il réduit l' enregistrement par  un fondu d'entrée puis un fondu de sortie au bout de la période désirée.
Que fait-il par la suite? Très simple,  il écoute sans cesse ce "morceau" comme s'il s' agissait d'une pop-song. Pendant ses trajets en voitures, ses loisirs, son travail.
Au bout d' un moment, il fait ce que l'on fait consciemment ou pas avec une chanson.  Il l'apprend par coeur. Cette musique produite par le hasard peut être apprise !?  Premier scoop!
Deuxième scoop, après un certain nombre d' heures d'écoute, il dit avoir imaginé que chaque élément avait été placés et coordonnés exprès. Comme s'il avait été écrit par un type. Le moteur de la voiture qui monte dans les tours et le chien qui aboie à ce moment là, "excellent!".
 Comme l'affirme Eno, on écoutera désormais la musique comme on se place pour apprécier une oeuvre d'art, plus uniquement sur le simple mode hédoniste adapté à notre humeur du moment. Tout est dit. Et la musique n'est plus un simple produit de consommation.

Pour finir et faire simple :
"R plus Seven" est-il un "bon disque"? Assurément.
"R plus Seven" est-il un "grand disque" ? Assurément
"R plus Seven" va-t-il "changer le monde"? En ce qui concerne les mondes de la musique électronique, d' une certaine pop plus aventurière et expérimentale c'est...déjà fait!


Commentaires

  1. Encore une fois je dis bravo pour cet excellent article pointu, pertinent et à l'analyse juste que je partage.
    Par contre, en ce qui concerne le dernier LP d'Oneohtrix Point Never, je ne sais qu'en penser : j'aime ou je n'aime pas ?? J'ai du mal à me faire un avis dessus.
    Sympa l'anecdote avec Brian Eno, je ne la connaissais pas.

    A +

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